Extrait :

01/04/2014 23:05

"Fées répandez partout la rosée sacrée des champs..."

(William Shakespeare Le songe d'une nuit d'été)

Prologue

Elle est arrivée un matin d’avril. Nul ne sait comment. Un taxi, une voiture qui l’aurait prise en stop, la navette maritime… personne ne s’en souvient. Elle marchait d’un pas léger, tirant une valise à roulettes d’une main, un vanity case dans l’autre et son sac à main en bandoulière à son épaule. Difficile de ne pas la remarquer car les touristes ne sont pas légion en cette saison, même si cette année le printemps était plutôt clément. Son apparence était des plus banale mais je sais que je ne l’oublierai jamais telle qu’elle m’est apparue dans cette belle lumière du matin. On aurait dit une fée…

1er jour

Chaque fois que je reviens au bord de l’océan, je ressens toujours la même excitation. Me revoilà 20 ans plus tôt. Je ferme les yeux et le bruit des vagues qui se fracassent contre la jetée, l’odeur des embruns, le doux soleil sur mon visage, tout me ramène en arrière. Epoque heureuse de ma jeunesse où je venais avec ma mère et mon petit frère passer les vacances d’été dans les parages. C’est la première fois que je reviens en Bretagne depuis le décès de ma mère et cette pensée me submerge d’une vague de tristesse. De colère aussi. Secouant la tête comme pour chasser ces idées sombres, je reprends en main la poignée de ma valise et poursuis ma route. Bon, assez gambergé, ce n’est pas en commençant à me lamenter que j'allais m’en sortir. Tout d’abord un hôtel. Regardant autour de moi, je m’aperçois vite que le village semble plutôt…comment dire, désert. Quelques hommes s’activent le long du quai où la navette a déposé deux personnes rapidement disparues par delà les maisons blanches aux volets bleus. Je m'avance dans cette direction lorsqu’une voiture de la police municipale arrive et se stationne à deux pas de moi. Une fois n’est pas coutume, je suis ravie de voir ce policier qui, j’en suis sûre, va m’aider à prendre mes marques dans ce village où je pense m’installer quelque temps.

- Bonjour.

L’homme me regarde comme s’il avait vu la Vierge Marie. Seigneur, est-ce qu’on parle français dans cette partie du Finistère ?

- Bonjour, dis-je à nouveau, excusez-moi, pouvez-vous me dire s'il y a un hôtel au village ?

- Euh…oui. Le Goéland.

- Le Goéland ? Parfait, et où se trouve le Goéland ?

Le type me dévisage toujours et je me demande si une mouette ne se serait pas laissé aller sur mon crâne tant il a l’air éberlué.

- Remontez cette rue et vous arriverez sur une petite place. Là, vous trouverez le seul hôtel du village.

- Je vous remercie.

Et sans plus attendre, je me dirige dans la direction indiquée non sans jeter un ultime coup d’oeil à l’homme qui semble peu à peu reprendre contenance. Petite place… Pour le coup, l’adjectif est bien choisi. Où sont les jolies places des villages de Provence que j’aime tant, avec leurs platanes centenaires et leur fontaine gazouillante ? Enfin bon, je ne suis pas venue ici pour faire du tourisme et encore moins passer du bon temps les doigts de pieds en éventail. J’avise sans difficulté la devanture du Goéland, mur blanc où est peint en grosses lettres noires le nom de l’hôtel-restaurant-bar-tabac-presse. Et bien…ça donne une idée de la grosseur du village. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que je vais me fendre la bille à coup de hache ici. Prenant ma valise par la poignée latérale, j’ouvre la porte de l’établissement et me retrouve dans une pièce spacieuse à la décoration chaleureuse. Aussitôt l’odeur me saisit et je sens malgré moi les larmes me monter aux yeux. La même odeur qu'il régnait dans cette pension de famille où nous étions allés plusieurs fois dans les Côtes-d’Armor ; celle des moules marinières. C’est drôle car ça sentait les moules marinières même quand nous n’en n’avions pas au menu. A croire que quand vous aviez fait des moules une fois dans une maison, ça marquait à vie ladite maison. Etonnant... Enfin bon, toujours est-il que je suis émue comme tout. Je dois être drôlement fragile pour qu’une simple odeur me mette dans un état pareil ! Il faut à tout prix que je me ressaisisse. L’hôtelier-restaurateur-barman-buraliste, un solide gaillard avec de belles bacantes, m’accueille avec une œillade inquisitrice.

- C’est pour quoi ?

Décidément, ça ne doit pas être dans leurs mœurs de dire bonjour !

- Euh, bonjour, j’aurais souhaité avoir une chambre s’il vous plaît.

- Pour combien de nuits ?

- Je ne sais pas, peut-être une quinzaine pour commencer.

L’homme me regarde de façon plus perçante encore, comme s’il me soupçonne de cacher des bombes à neutrons dans mon vanity.

- Besoin de prendre du recul, dis-je en fronçant le nez.

En bougonnant, il se penche vers son comptoir et en sort une clé qu’il me tend.

- Chambre quatre, en haut de l’escalier, deuxième porte à gauche.

- Merci. Dites-moi, vous faites aussi les ourlets ?

Le colosse se fige tel un menhir et lui adressant un signe de main style « faites pas attention, ça doit être hormonal » je me dirige vers l’escalier en portant mes bagages. Arrivée en haut, je croise une femme menue qui m’adresse un beau sourire.

- Bonjour, je m’appelle Mathilde, me déclare-t-elle, bienvenue chez nous !

Son attitude chaleureuse m’encourage à lui retourner son sourire.

- Bonjour, je suis ravie de voir qu’il existe en cette contrée quelqu’un de civilisé. Je commençais à me demander si je n’allais pas devoir me procurer une méthode pour apprivoiser les hommes de Cro-Magnon.

En pouffant de rire, Mathilde s’empare de ma valise avec une force qui me laisse perplexe. S’apercevant de ma surprise, elle me dit avec un clin d’œil malicieux :

- Ne vous fiez pas aux apparences. C’est comme avec Brice, mon mari, il surprend toujours la première fois qu’on le voit, mais c’est vraiment quelqu’un de bien.

Devant la porte de la chambre, mon hôtesse me prend la clé des mains et en ouvre le battant. Elle me laisse passer puis s’engouffrant à son tour dans la pièce, dépose mon bagage sur le lit.

- Voilà, je vous laisse vous installer. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à demander. Je descends vous préparer un petit quelque chose pour vous restaurer.

Puis elle sort en me servant à nouveau ce sourire qui éclaire son regard et réchauffe le cœur de celui qui le reçoit. Décidément, ce petit bout de bonne femme me plait vraiment. Surtout qu’en ce moment, niveau chaleur humaine, je suis plutôt à court. Une fois seule, j’examine la chambre. Elle est claire, lumineuse, meublée d'un lit, d'un chevet, d'une armoire deux portes en bois sombre, d'un petit bureau et d'une chaise. Une porte ouvre sur un petit coin toilette. Un lavabo, des toilettes et une douche habillent cet espace. La fenêtre donne sur la façade avant de la maison et, l’ouvrant, j’entends le ressac des vagues au loin. Je sens alors une grosse boule obstruer ma gorge et mes jambes commencer à flageoler. D’un pas chancelant, je m’approche du lit et me laisse tomber lourdement dessus. Le regard perdu dans le vide, je m’efforce de respirer lentement pour apprivoiser la douleur qui me vrille la poitrine. "Du calme, tu es en sécurité maintenant." Doucement, je me relève et commence à défaire ma valise avec des gestes mécaniques. Ne pas penser... pas encore... pas maintenant. Je vais redescendre, boire ce café que me prépare Mathilde, aller me promener un peu en attendant l’heure du repas. Après, j’aviserai. Ce n’est surtout pas le moment de craquer. Ce soir, on verra…